Février 2022 : la Norvège se met en guerre
Le jeudi 24 février 2022, à l’aube, l’Ukraine se réveille attaquée par la Russie. La plupart des athlètes nordiques, eux, se trouvent en Finlande, à Lahti. Se posent alors deux questions : le circuit international doit-il se rendre sur les finales organisées en Russie ? Les Russes et les Biélorusses (dont le gouvernement soutient Vladimir Poutine) doivent-ils rester en coupe du monde aux côtés des Ukrainiens qui craignent pour leurs proches et partent au front ?
Décision est d’abord prise d’interdire le drapeau et l’hymne russe tout en protégeant les athlètes présents à l’étranger. Insuffisant pour la Norvège. Erik Roeste milite auprès de la FIS pour l’interdiction pure et simple des Russes en coupe du monde tandis que Johannes Hoesflot Klæbo annonce déjà qu’il ne se rendra pas en Russie si les courses sont maintenues, comme nombre de ses coéquipiers dont Therese Johaug, reine du ski de fond. « La FIS est lâche et faible de ne prendre aucune décision », glisse Klæbo, sous-entendant même qu’il pourrait boycotter les épreuves norvégiennes pour ne pas concourir contre des Russes. Une position ferme reflétant e l’ambiance générale en Norvège.
Mars 2022 : pour une exclusion pure et simple des Russes
Malgré les nombreux appels des athlètes à régler la question, la FIS ne bouge pas et l’IBU ne se fait pas encore entendre. Les Norvégiens prennent alors les choses en main : pour eux, il est impossible de laisser les athlètes russes concourir sur les compétitions de ski de fond, combiné nordique et saut à ski organisées sur leur territoire. « Je trouve cela difficile d’aligner mes athlètes sur les mêmes compétitions que les Russes, déclare Clas Brede Braathen, directeur du saut à ski norvégien, à VG. Ils représentent un régime où sport et politique vont de pair et ce régime a agressé un pays. »
Contre l’avis des instances internationales, l’Association norvégienne de ski décide donc d’exclure la Russie de ses coupes du monde. Décision suivie par l’Association norvégienne de biathlon et encouragée par le CIO. Des choix faits pour contrer Vladimir Poutine qui s’est souvent servi du sport à des fins politiques.
« Les actions de Moscou ont des conséquences. En Russie, le sport a une valeur politique, il faut donc défendre nos valeurs et punir ce régime aussi sur le plan sportif », explique notamment Linda Hofstad Helleland, siégeant à la commission chargée de la politique sportive.
Si les Russes tentent d’abord de passer outre et se rendent à Holmenkollen, ils doivent vite se rendre à l’évidence : ils ne sont pas les bienvenus. Camion de fartage vandalisé, athlètes ne se sentant pas en sécurité, ils remballent leurs affaires et soulagent les Norvégiens d’un poids.
Dans le même temps, les Norvégiens s’engagent dans le soutien pour l’Ukraine. Des bandeaux des biathlètes contre la guerre, au tremplin d’Oslo mis aux couleurs de l’Ukraine en passant par des dons financiers des fédérations et athlètes, la Norvège tient à exprimer son soutien aux victimes de cette guerre qui s’éternise. « C’est bien de pouvoir contribuer, à notre manière, à quelque chose de positif », commente Therese Johaug après avoir vendu aux enchères sa combinaison.
Septembre 2022 : un retour en coupe du monde impossible
Puisque la guerre ne se termine pas, pas question pour les Norvégiens de revoir les Russes et Biélorusses en coupe du monde. Heureusement pour eux, la FIS et l’IBU maintiennent l’exclusion de ces athlètes à la fin de l’été. « Je maintiens ce que je dis depuis le mois de mars, tant que les Ukrainiens ne peuvent pas revenir car ils doivent se battre pour leur pays, les Russes ne devraient pas concourir non plus », dit ainsi Johannes Hoesflot Klæbo à Dagbladet.
Un avis partagé par le sauteur à ski Halvor Egner Granerud. Sur Twitter, le Norvégien rappelle que la FIS doit assurer des compétitions inclusives et équitables. « Comment est-ce juste et inclusif quand les Ukrainiens doivent rester chez eux pour défendre leur pays alors que les Russes concouraient ? » pointait-il dès le début du conflit.
« Tant que l’Ukraine sera sous le coup de cette attaque, nous réagirons », ajoute Erik Roeste, affirmant que les Norvégiens continueront d’exclure les Russes le temps que la guerre se finisse. Pourtant, Michel Vion et la FIS y réfléchissaient sérieusement avant le début de l’hiver. « C’est incompréhensible, réagit Clas Brede Braathen. J’espère que quelqu’un pourra l’empêcher d’aller au bout de cette idée. Nous ne voulons pas ignorer les peuples qui souffrent et meurent du fait des Russes. Il n’y a aucun argument en faveur du retour des Russes. »
Les complaintes des athlètes russes dans les médias n’y font rien : les Norvégiens gardent le cap et refusent d’entendre parler d’un retour, à l’instar de Petter Northug Jr. « La frustration d’Alexander Bolshunov est compréhensible mais ce serait bien qu’il réalise que la Russie est en guerre et a attaqué l’Ukraine, à un moment, il y a plus important que le ski de fond. La FIS a pris la bonne décision et je suis certain que la majorité des athlètes soutient ce choix », affirme-t-il sur TV2. « C’est comme si les Russes ne réalisaient pas la gravité de la situation », ajoute son collègue Petter Skinstad.
Des propos renforcés par les réactions russes qui provoquent les Norvégiens sur les réseaux sociaux, à l’exemple de Veronika Stepanova qui interpelle directement Emil Iversen, lui affirmant qu’elle soutient son gouvernement et que les Norvégiens et les Russes ne sont pas si différents. « Je n’arrive pas à croire qu’elle exprime vraiment son opinion, réagit aussitôt Lotta Udnes Weng dans les colonnes de VG. C’est très choquant de voir cela. »
La présence de Yulia Stupak sur la coupe du monde de Toblach (Italie) en février 2023, skiant au milieu des athlètes lors d’un entraînement officiel, a aussi rajouté de l’huile sur le feu au milieu d’une situation bien compliquée. « C’est injuste et irrespectueux qu’elle s’entraîne à un moment réservé aux équipes qui concourent, il y a des règles et elles ont une raison d’exister », commentait Ane Appelkvist Stenseth. « Il y a plein d’endroits sympas en Europe pour s’entraîner, c’est étrange d’être aussi attiré par la coupe du monde quand on n’est pas autorisé à y participer », ajoutait Paal Golberg dans les colonnes de VG.
Février 2023 : vers une possible réintégration l’hiver prochain ?
La saison passant, les discussions semblent se tasser, tous approuvant le bannissement des Russes et Biélorusses. Jusqu’à ce que le CIO annonce rouvrir la discussion sur l’inclusion de ces athlètes, entre autres aux prochains Jeux olympiques d’été, à Paris.
Astrid Uhrenholdt Jacobsen, représentante des athlètes norvégiens au CIO, aurait exprimé son approbation face à cette idée. « Tout le monde convient que la guerre est brutale, que des sanctions doivent être prises contre la Russie, explique-t-elle à la NRK. Mais si le sport doit rester neutre et avoir une tolérance zéro contre la discrimination, alors il faut laisser les athlètes concourir, je suis donc pour une discussion ouverte sur la réintégration des Russes. »
Une vraie bombe dans le monde du ski norvégien. Si la fondeuse retraitée s’est excusée pour s’être exprimée au nom de tous sans les consulter, le mal était fait. « Oui, le sport ne doit pas être source de discrimination mais quelle alternative avons-nous ? fait remarquer le fondeur Paal Golberg. Nous n’avons jamais été aussi loin d’avoir cette discussion je crois. » Sjur Roethe va plus loin : « Le monde du sport tel qu’il est maintenant est très bien, il n’y a pas de raison de le changer en réintégrant les Russes. » « Notre position n’a pas changé sur la question, la mienne non plus », ajouter Simen Hegstad Krueger.
Et pour montrer que leur engagement n’est pas que verbal, les Norvégiens ont même évoqué un boycott de la coupe du monde ou tout évènement international où les Russes seraient réintégrés avant la fin de la guerre. « Si la situation en Ukraine ne change pas et que cette décision est prise, alors oui j’envisagerais de boycotter la coupe du monde l’an prochain », dit ainsi le biathlète Vetle Sjaastad Christiansen à la NRK.
« Nous devrons peut-être envisager un boycott de toute l’équipe, ajoute son coéquipier Tarjei Boe. Nous en parlerons avant avec tout le monde mais il me semble impossible de concourir contre les Russes dans la situation actuelle, je ne veux pas qu’ils reviennent en coupe du monde. » Une décision commune aurait bien plus de poids qu’un choix individuel.
Des arguments que les athlètes avancent depuis déjà un an reviennent sur la table : « On ne peut séparer à 100% sport et politique, ce serait naïf de penser le contraire, explique ainsi Ingrid Landmark Tandrevold au quotidien VG. C’est difficile d’imaginer boycotter une épreuve ou plusieurs mais la situation est grave et doit être prise au sérieux. » Vetle Sjaastad Christiansen approuve : « Je comprends qu’on ne veuille pas mélanger sport et politique mais c’est difficile quand les Russes tissent des liens étroits entre les athlètes et l’armée. »
« Je comprends qu’il doit y avoir une discussion pour savoir quand et comment les Russes pourront être réintégrés, termine Johannes Thingnes Boe. Mais aujourd’hui, cela ne me paraît pas envisageable. Que le CIO dise que la majorité des athlètes est pour le retour des Russes me semble malhonnête. »
Ce n’est pas la prise de position de Martin Fourcade qui y changera quoi que ce soit. « Je suis sûr que certains Norvégiens sont pour lancer cette discussion mais personne n’ose en parler pour ne pas subir les mêmes critiques que Jacobsen », a-t-il déclaré dans une interview pour la NRK. « Je respecte Martin et je sais qu’il a sûrement beaucoup réfléchi à la question avant de s’exprimer, répond Johannes Thingnes Boe. Pour autant, je suis toujours opposé au retour des Russes. »
Une position sans appel et qu’aucun Norvégien n’a osé contredire publiquement. Il faut dire que nombre de stars des équipes de ski nordique ont annoncé haut et fort soutenir les Ukrainiens et être contre le gouvernement russe et tous ses représentants tant que la guerre ne sera pas terminée.
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