SKI DE FOND – Discret, simple, travailleur, généreux : Toni Livers est l’un des meilleurs fondeurs longues distances de la planète. Rencontre avec le premier skieur suisse vainqueur en coupe du monde.
Dans la salle de musculation du centre national d’entraînement de Prémanon (Jura), il passe pour le moins inaperçu. Il n’a pas les biscotos d’un Lucas Chanavat, le look stylé d’un Simon Fourcade, mais ces détails ne l’empêchent pas de faire le job consciencieusement. Tee-shirt en coton, short de monsieur tout-le-monde-à-la-plage, Toni Livers, le bonhomme à la chevelure parsemée d’éclairs argentés ne paie pas de mine. Seule sa montre Polar bleue trahit son identité de sportif de haut niveau…
Toni Livers fait dans la simplicité. Le fondeur suisse est pourtant une référence de premier plan : « Toni est un perfectionniste, quelqu’un de très généreux qui ne laisse rien au hasard et ne se prend en aucun cas la tête. Pour nous, athlètes du team, sa simplicité est un vrai avantage », appuie Candide Pralong. Le fondeur valaisan du team Gel Intérim – Rossignol n’est pas seulement séduit par le parcours sportif de son compatriote, il loue également ses qualités humaines : « Il apporte énormément grâce à son expérience. Il nous donne toujours de très bons conseils et nous motive à nous surpasser. Il s’implique à 100 % dans le team et il est pour nous un exemple à suivre », poursuit le jeune homme.
Faits d’armes
Bien avant Dario Cologna, devenu en deux olympiades le meilleur fondeur helvète de l’histoire, Toni Livers a ouvert la voie ! Deux faits d’armes particulièrement éloquents illustrent ses glorieuses tablettes : la première victoire individuelle et le premier succès du relais suisse en coupe du monde.
La gloire lui tombe dessus à Davos (Suisse), en 2007, sur un 15 kilomètres libre. « Je me souviens de mon dossard 8, d’une piste rapide, d’une forme et de skis optimaux ce jour-là. Après ma course, je me suis changé et, en revenant, j’ai constaté que j’étais toujours devant ! C’était tellement surprenant », se remémore-t-il, en souriant. Mais l’histoire est d’autant plus belle et rare que cette première réussite est partagée avec l’un des meilleurs de l’époque, un certain Vincent Vittoz. « Gagner en coupe du monde est toujours un moment fort, note le skieur de La Clusaz (Haute-Savoie). Partager cette victoire avec Toni, chez lui, devant son public, nous a permis de vivre une superbe remise des prix, dans une grosse ambiance. »
Victoires historiques
Mais Toni Livers a aussi brillé avec son équipe. En 2010, à La Clusaz, la Suisse gagna le relais. Avec Curdin Perl, Remo Fischer et Dario Cologna, le Grison savoura une précieuse victoire collective : « Être le premier Suisse à remporter une coupe du monde n’est pas franchement important, c’était très fort aussi de gagner avec les copains », assure le cadre suisse du team Gel Intérim – Rossignol. « Il apporte la touche suisse au team avec son sérieux, son amour du chocolat et son accent, s’amuse Pralong. De mon côté, je suis devenu déjà quasiment français à force de traîner avec ce groupe. Plus sérieusement, Toni est plus qu’un leader dans le team, c’est également un coach et un locomotive. »
« Il est capable d’enchaîner les courses l’hiver sans méforme, toujours à la recherche d’un dossard et, le pire, c’est qu’il est toujours performant. À l’entraînement, il est très »pro » dans tout ce qu’il fait, tout est bien réfléchi. On retrouve un peu de ça chez Candide aussi, la petite touche Suisse sûrement. On a l’impression que rien ne le fatigue ! », salue son jeune collègue du team Clément Mailler.
« J’aime la qualité dans l’entraînement », agrée l’intéressé. « Toni aime la compétition en enchaînant beaucoup de courses l’hiver, entre la coupe du monde et les longues distances. Il se connaît parfaitement maintenant et donne l’image d’un gros travailleur qui, en tout cas, prend beaucoup de plaisir à pratiquer. Il est un peu dans l’ombre de Dario Cologna, mais a déjà quelques belles lignes à son palmarès, surtout en style libre, son point fort », souligne Vincent Vittoz.
Dans les champs
« En compétition je ne l’ai pas encore vu faire de mauvais choix, il a l’expérience de la course. On a l’impression que, même lors de compétitions importantes et de très haut niveau, la pression ne l’atteint pas, il paraît toujours décontracté en se présentant au départ ! », ajoute le fondeur vosgien Bastien Poirrier. Derrière son regard bleu profond presque mutin et un sourire jamais feint – « notre »Buitoni » (référence à une des préférences culinaires du Suisse) est l’homme qui sourit le plus sur terre », note Mailler – se cache en effet un amoureux du travail bien fait.
« Ce qu’on veut, il faut aller le chercher ; il faut travailler pour gagner, pour progresser, et tout cela se fait encore plus naturellement si le plaisir est là », souligne l’Helvète qui a été élevé à bonne école. Toni Livers, né il y a 33 ans, dans le petit village de Trun a passé une partie de son enfance… dans les champs et sur un tracteur. Jusqu’à l’âge de 15 ans, il a aidé, tous les étés, avec ses deux sœurs Sereina et Catrina, ses parents à la ferme familiale. « On vivait dans la montagne, on prenait la fourche dans les pentes raides, je descendais à vélo chercher le courrier, avant de remonter pendant une heure… En fait, on était dehors du matin au soir. C’était parfois dur, mais c’était une belle vie. »
« Enfants, on accompagnait les parents dans les champ. Eux travaillaient et nous jouions, avant de les aider ensuite une fois un peu plus grands, raconte Catrina, qui réside toujours à Trun. Ce travail a donné une condition physique à Toni qui, depuis tout petit, a toujours été très sérieux et concentré dans ce qu’il faisait. C’est une fierté pour toute la famille. Nous l’accompagnons parfois à Oslo, Falun, Oberstdorf ou Turin, et le regardons souvent à la télé. »
Une rencontre décisive
À la maison, on ne parle que le romanche – quatrième langue nationale pratiquée par 60 000 Suisses. Quand l’adolescent qui sillonne les pistes du coin en ski de fond depuis ses huit ans, tente, sur un coup de tête, – et réussit avec un ami – le concours de l’école des Sports, il doit se mettre tardivement à l’allemand ! Cinq années de formation aux côtés de hockeyeurs, de tennismen, de skieurs alpin affinent les qualités du futur champion qui deviendra plus tard garde-frontières. Une rencontre décisive avec Kjetil Olsen, un entraîneur norvégien, a marqué le sportif : « Il m’a amené vers le haut niveau, m’a fait comprendre que la tête est aussi importante que les jambes », salue l’athlète qui découvrit le circuit de la coupe du monde à Davos en 2003.
Treize ans plus tard, Livers compte déjà trois olympiades à son actif : Turin, Vancouver et Sotchi. Et ne fait pas une croix sur la passe de quatre à PyeongChang en 2018. « Plus que les courses du jour J, je retiens surtout les cycles de préparation avec leurs hauts et leurs bas », observe-t-il, sagement. Cette dernière saison ne va pas le contredire : meilleur Suisse sur la coupe du monde et vainqueur du classement de la FIS Worldloppet Cup, Livers a été étincelant. Le 50 kilomètres libre des Mondiaux de Lahti et La Transjurassienne qu’il rêve de remporter seront ses prochains objectifs. Une chose est claire, le bonhomme est déterminé : « J’ai vraiment envie de continuer à progresser, à avancer. »
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Portrait publié dans Nordic Magazine #20
Photos : Nordic Focus.