SAUT À SKI – Depuis 2011, Nordic Magazine publie, dans chacun de ses numéros, un long portrait consacré à un athlète. C’est à chaque fois l’occasion de mieux connaître celle ou celui dont on admire les exploits. Retrouvez ici l’article qui évoquait, en décembre 2014, Vincent Descombes-Sevoie.
Vincent Descombes-Sevoie est un sauteur qui, dès qu’il le peut, prend les airs. En vol, il échappe au monde qui l’entoure. Même si son évasion réclame de prendre du champ, elle est de courte durée et défile à grande vitesse dans ses yeux gris-vert. Mais elle lui est indispensable, vitale même, comme peut l’être l’oxygène pour n’importe quel être humain.
Pour comprendre, il faut, comme souvent, remonter à l’enfance. « J’étais toujours collé aux baskets de mes parents », raconte le jeune homme qui aura 31 ans en janvier. Sa maman n’a pas oublié cette époque : « Le dimanche après-midi, il commençait déjà à pleurer rien qu’à l’idée, le lendemain, de nous quitter. Tout lui faisait peur. Non, vraiment, il n’aimait pas l’école. » Une phobie que ses parents vont tenter de guérir par le sport.
Dans cette famille d’artisan – le papa est plombier -, le saut à ski n’a rien d’une évidence. Sauf que le grand frère, un brin kamikaze, évolue déjà au sein du club local des Houches, en Haute-Savoie. Sa présence rassure son cadet qui, en même temps, se surprend à aimer ce nouvel univers qu’il découvre pourtant. « J’apprenais à mieux gérer les événements. » En 1989, il n’a pas six ans quand il part en bus à Paris pour sauter sur le tremplin qui est alors installé dans le parc de la Courneuve : « Pour moi, c’était une vraie expédition. Je me souviens qu’avant de sauter, on voyait la Tour Eiffel. »
L’entraîneur s’appelle James Yerly. « C’était le plus petit du groupe. Il a eu de bons résultats tout de suite. Au niveau national, il était dans les meilleurs. Déjà, il aimait bien gagner », se remémore l’homme qui l’a accompagné de nombreuses années, avant que Pierre Bailly et beaucoup d’autres ne prennent la relève. « Il m’a guidé avec les bons mots, les bons gestes », remercie l’athlète qui, de temps en temps, lui rend visite. « Il me donne encore des conseils », ajoute-t-il. « Il sait ce qu’il a à faire », sourit en retour l’intéressé.
Celui-ci a été le témoin de la métamorphose de la chrysalide en papillon et du premier envol de celui-ci. « J’aimais aller à la bagarre. Le saut a déverrouillé le cadenas qui était en moi depuis des années », reconnaît l’actuel chef de file de l’équipe de France de saut spécial.
François Braud, membre de l’équipe de France de combiné nordique, l’a connu à cette époque : « Nous passions énormément de temps ensemble, se rappelle le Chamoniard. J’allais chez lui : soit on faisait un tremplin dans son jardin, à sauter jusqu’au bout de la nuit en oubliant même d’aller manger, soit on regardait des vidéos de saut en boucle jusqu’à connaître par cœur chaque sauteur de la coupe du monde. »
La promesse de Planica
Au comité du Mont-Blanc, il se frotte aux Kevin Arnould, Ludovic Roux, « presque des idoles », effectue des stages à Chaux-Neuve, dans le Haut-Doubs, et même à l’étranger. Vincent Descombes-Sevoie a trouvé son chemin. Un jour, il se rend à Planica, en Slovénie. En simple spectateur, avec les supporters chamoniards et les siens. Au pied du tremplin, il regarde sa maman Patricia, et lui dit : « Un jour, je viendrai sauter là. »
À 14 ans, il intègre l’équipe de France de combiné nordique. « Avec Vincent, on se connaît bien, témoigne le Bois d’Amonier Sébastien Lacroix, car il a un an de moins que moi. Il a fait du combiné jusqu’en 2003 je crois et nous étions souvent en chambre ensemble à ce moment-là. » De cette période, le Jurassien garde en mémoire une histoire cocasse : « En 2003, aux championnats du monde junior j’ai par erreur mis mon nom dans sa combinaison alors qu’il est bien plus petit que moi [1,73 m contre 1,90 m, ndlr.]. Heureusement, il s’en est rendu compte avant que j’essaie de rentrer dedans. Il me charrie souvent avec ça. »
« Pour moi, les choses commençaient à devenir sérieuses », enchaîne le sauteur tricolore. Les stages sont pimentés à la sauce Fabrice Guy/Sylvain Guillaume : réveil, footing à jeun, petit-déjeuner, saut, musculation… « Mais je stagnais en ski de fond », reconnaît-il. Après deux-trois années difficiles, il change de discipline : il rejoint la belle équipe de France de saut, aux côtés d’Emmanuel Chedal, David Lazzaroni, Nicolas Dessum, Pierre-Emmanuel Robe, Damien Maitre et Benjamin Bourqui. Mais, faute de résultats, celle-ci n’est pas qualifiée pour les Jeux olympiques de Turin, en 2006.
L’ambiance n’est dès lors pas à la fête et Vincent Descombes-Sevoie s’isole. « Ce n’était pas un groupe où je me sentais bien », justifie-t-il. « Lorsque ça ne fonctionne pas comme il le souhaite, il s’en veut beaucoup et se renferme un peu sur lui-même. C’est un peu dommage car dans ces moments-là, on peut avoir besoin d’évacuer en pensant à autre chose », observe Sébastien Lacroix.
Jusqu’à la fin des années 2000, Vincent Descombes-Sevoie veut prouver à ses coéquipiers qu’il n’est pas un combiné exilé, mais un sauteur. Un vrai. Pour gagner son statut, il va serrer les dents et les poings, puis remettre mille fois son ouvrage sur le métier. « C’est un travailleur acharné, décrit Sébastien Lacroix. Il s’est toujours donné à 200 % pour être performant, d’autant plus que le passage du combiné au saut est loin d’être évident. » « Il fallait que je sois devant », assure-t-il. Devant Emmanuel Chedal, le numéro un, avec qui il n’a aucune affinité et dont il récupère le contrat avec la Douane en 2007.
L’année 2010 servira de déclic : Jeux olympiques de Vancouver, deux tops 15 en coupe du monde à Kuopio et Lillehammer, premier franchissement des 200 m. « Je suis dans le vrai », se surprend à penser alors le Haut-Savoyard qui ne vit désormais que pour le saut. Il ne va dès lors plus baisser la garde. « Il est tellement passionné, confie Lauranne, son épouse jurassienne avec qui, en 2012, il a eu un petit garçon, Louison. Même quand il est avec nous, sa carrière sportive est sa priorité. Notre vie est réglée par rapport à cela. » Elle poursuit : « Il nous aime, on le sait. Nous, on le soutient. »
Un sacerdoce ? « C’est ma vie », répond simplement Vincent Descombes-Sevoie. « C’est surtout un super papa qui s’éclate avec son petit Louison à piquer des fous rires », corrige François Braud. « La naissance de Louison lui a fait beaucoup de bien je pense et c’est un père heureux et fier de son fils », surenchérit Sébastien Lacroix.
Uppercuts
L’athlète n’est pas que sauteur à ski. Il saute aussi des haies, des obstacles qui sont autant de coups donnés sur sa carapace. En 2013, son exaspération est trop forte lors de la Tournée des Quatre Tremplins, moment fort de l’hiver pour cette discipline qui réussit aux solitaires. Sa colère se retrouve dans les colonnes de L’Équipe. Surtout, un fort sentiment d’injustice. « J’ai expliqué des choses [principalement le manque de moyens, l’absence de farteur, diététicien et préparateur physique en équipe de France, ndlr.] qui n’ont pas plu à beaucoup de monde. »
Moins d’un an plus tard, il apprend qu’il n’ira pas à Sotchi, seul Ronan Lamy-Chappuis sera du voyage olympique en Russie. « J’en ai eu la confirmation par un SMS de Marie-Laure Brunet qui m’apportait son soutien. J’étais en transit dans un aéroport. » Pudique, il dit avoir été « déçu », mais n’avoir pas songé à arrêter, à jeter ses skis dans le caniveau, à tourner la page. « J’ai pensé à ma famille et aux gens qui me soutenaient. » Son entourage ne comprend pas la décision de la Fédération française de ski : « Tout était prêt pour qu’il y aille. Il avait ses combinaisons », rappelle Lauranne.
La réaction qu’adopte son mari l’impressionne : « Il a été très fort. Je l’admire. Il a vraiment réussi à rebondir. » Surtout qu’il n’en a pas fini avec les uppercuts. « Je n’en ai fait qu’à ma tête », concède-t-il. Au lieu des JO, Vincent Descombes-Sevoie doit s’envoler pour les États-Unis où se dispute la coupe continentale. Sauf que son passeport n’est plus valable. « Il a repris un coup sur la tête », regrette Gérard Colin, son actuel entraîneur, qui vit cette nouvelle épreuve avec lui. Il lit alors plus que du désarroi dans le regard humide de son athlète. En mars, enfin, il perd d’un cheveu son titre de champion de France : « Le saut à ski, ce sont des détails. »
« Après Sotchi, c’était dur », constate le coach qui s’est efforcé de lui redonner de la confiance. « C’était un peu compliqué la saison dernière, dit à son tour Ronan Lamy-Chappuis. Vincent s’est renfermé. J’avais du mal à aller vers lui, je ne savais pas comment réagir. » Depuis, le binôme s’est ressoudé et, « pendant l’été, Vincent a progressé. Il sait maintenant ce qu’il vaut. Il n’a plus de doute quand il lâche la barre », observe Gérard Colin, satisfait de sa « petite famille. »
Re(co)nnaissance
Manque à Vincent Descombes-Sevoie la reconnaissance. « J’espère qu’il va l’avoir. J’y crois. Je veux absolument qu’il obtienne un résultat, quelque chose de marquant, qu’il ait le sentiment d’avoir fait partie des meilleurs du monde. » « Sa force, c’est son professionnalisme et, en saut, sa façon de voler. Sa faiblesse ? À mon avis, il est encore trop nerveux lors des compétitions », analyse l’Autrichien Robert Treitinger, préparateur physique du team tricolore. « Il sait ce qu’il vaut et tant qu’il n’aura pas réalisé ses rêves, il redoublera d’effort jusqu’à ce qu’il y arrive », complète le combiné chamoniard Geoffrey Lafarge.
Aujourd’hui, Vincent Descombes-Sevoie se dit bien dans sa tête. « Il est plus motivé que jamais », se réjouit Lauranne. « J’ai su me relever. C’est l’hiver où tout est possible », sourit-il. Il veut des tops 10. Et plein d’autres choses. « Maintenant, je joue la gagne. » Partout. Tout le temps. Attention à son humeur quand il ne sera pas satisfait de ses sauts, quel que soit le rôle qu’auront joué les éléments.
Quand le 24 février 2012, lors de la première manche des championnats du monde de Vikersund (Norvège), il bat le record de France avec un saut de 225 mètres, son épouse Lauranne était enceinte. La famille vient de faire l’acquisition d’un chalet, avec une chambre supplémentaire. De là à y voir un heureux présage…
Cet article est paru dans Nordic Magazine #13 (décembre 2014)
Photos (sauf mention contraire) : Nordic Focus.