SKI DE FOND – Depuis 2011, Nordic Magazine publie, dans chacun de ses numéros, un long portrait consacré à un athlète. C’est à chaque fois l’occasion de mieux connaître celle ou celui dont on admire les exploits. Retrouvez ici l’article qui évoquait, en février 2015, Vincent Vittoz.
Au bout de l’interminable ligne droite du stade d’Oberstdorf (Allemagne) dominé par les majestueuses montagnes de l’Allgaü apparaît en tête la combinaison bleu et rouge de Vincent Vittoz. Dans la cabine d’Eurosport, Emmanuel Jonnier s’égosille au micro : « Patine, patine, souffle-t-il à son coéquipier. La médaille est au bout. » Résistant au retour de Giorgio Di Centa et de Frode Estil, le fondeur de La Clusaz (Haute-Savoie) franchit la ligne d’arrivée de la double poursuite [skiathlon] en vainqueur. En champion du monde. Ivre de fatigue et de bonheur, il tombe dans les bras de son entraîneur Roberto Gal… « C’était un rêve que toute l’équipe de France avait dans la tête et Vincent y compris », considère l’emblématique entraîneur italien.
Le 20 février 2005 fait encore date dans le ski de fond français avec le premier et seul titre mondial de l’histoire salué par la une de L’Équipe du lendemain : »Vittoz, l’apothéose » !
Dix ans après, le médaillé d’or a tourné la page. Sans rancune ni amertume après un dernier podium sur le 50 kilomètres d’Oslo en mars 2011 partagé avec Dario Cologna et… Maurice Manificat, une symbolique passation de pouvoir. « Mon corps était encore dans la compétition mais plus mon esprit. Je garde de très bons souvenirs de cette période avec la médaille bien sûr, mais aussi tous ces moments partagés avec l’équipe et le staff, confie Vincent Vittoz. Une période où le ski français a changé de dimension. Mais ce qui m’intéresse, c’est ce que je vis aujourd’hui, ce que je vais pouvoir transmettre aux jeunes. »
Intimidé(s)
Depuis trois saisons, le fondeur est devenu entraîneur des moins de 23 ans. « Le ski de fond m’a tellement donné et me donne encore tellement que je me sens le besoin de partager mon expérience, de donner aux jeunes Français ce qui m’a été offert », assure-t-il. « Sa nouvelle vie de coach est une suite logique mais surtout une étape. Toz (sic) aime bien diriger, le rôle d’entraîneur lui va bien. Il a les armes pour gérer un groupe, un budget et des collègues. C’est super pour les jeunes de profiter de son vécu sportif. Ce poste est un passage obligé pour asseoir la suite quand le moment sera venu. Il ne doit pas brûler les étapes », conseille Emmanuel Jonnier, lui aussi passé dans l’encadrement technique fédéral.
« Il est toujours à 200% dans ce qu’il entreprend. »
En toute modestie, Vittoz s’est remis en question pour trouver ses marques avec les jeunes qui se retrouvaient en face d’une référence. « Au début, nous étions quand même impressionnés d’être coachés par Vincent Vittoz en personne », témoigne Paul Goalabré. « Un titre de champion du monde, ça pose un bonhomme », image Jonnier. « Nous le sentions timide d’être passé de l’autre côté de la barrière. Mais il a su s’adapter et faire progresser chacun des différents athlètes en s’appuyant sur son passé », félicite le fondeur du comité des Alpes-Provence qui a même vu son coach progresser en matière d’orientation : « Les séances de courses à pied finissaient souvent en débroussaillage ! »
Vittoz a construit sa nouvelle vie comme il a mené sa carrière, avec professionnalisme. « Dans le haut niveau, c’est le souci du détail et de la performance qui priment », souligne l’intéressé. « Il est toujours à 200% dans ce qu’il entreprend, ne baisse jamais les bras et est toujours prêt à aller au combat, c’est très inspirant », salue Clément Parisse, champion de France de sprint à Prémanon (Jura) en mars dernier. « Vincent a su durer au plus haut-niveau avec un mental d’acier. Son vécu d’athlète est précieux pour nous », ajoute Goalabré.
Le skieur emblématique de la station haut-savoyarde lovée dans la chaîne des Aravis, est tombé dans le ski de fond en suivant les traces de son grand frère Stéphane car il aimait « skier léger et se défouler. » « Vincent a rapidement montré des dispositions pour le ski de fond que nos parents ne pratiquaient pas, se souvient Stéphane, aujourd’hui directeur du club des sports de La Clusaz. Il est vite monté sur le podium de la Finale des foyers, la course des jeunes en Haute-Savoie. Puis il a suivi une carrière régulière aux avant-postes. »
Vincent Vittoz s’inspire de ses précédents entraîneurs pour conseiller à son tour ses protégés. Du premier coach Joseph Pollet qui lui a « transmis sa passion pour le ski de fond », en passant par Pierre Calori, Pierre Guepéret, Jean-Claude Roguet, Laurent Schmidt et enfin le charismatique Roberto Gal qui le mènera au sommet de son art, chacun a apporté à Vincent une pierre pour construire sa magnifique carrière. « Vincent a été très professionnel avant nous, dans tous les domaines. Et chaque fois, il partageait ses connaissances en matière d’entraînement, de nourriture, de musculation », ajoute Emmanuel Jonnier qui a vécu une décennie en équipe avec le Cluse. « Je suis convaincu que la réussite sportive passe par le bien-être personnel. J’étais bien dans cette équipe », assure le nouvel entraîneur qui soufflera ses 40 bougies cet été.
Recette Vittoz
Victorieuse pour la première fois d’un relais en coupe du monde de ski de fond (La Clusaz en décembre 2004, lire Nordic Magazine #10), cette équipe de France a été façonnée par Roberto Gal. « Il croyait tellement en nous et en moi, confie avec émotion Vittoz. Il nous a fait croire que c’était possible de gagner… et ça l’était ! Il a joué un rôle psychologique énorme ».
« Vincent est un vainqueur, se défausse presque le technicien du Val d’Aoste. Il a le cœur, la tête et les jambes d’un champion. Il était fait pour gagner. Selon moi, Vincent sera le grand patron du nordique français dans quelques années, à la tête d’une nation qui fera partie des trois ou quatre meilleures équipes du monde. Il a réussi en trois ans à inculquer aux jeunes, en l’adaptant bien sûr, un système qui a marché pour lui au plus haut-niveau ».
La recette Vittoz faite de travail, de relations franches, de perfectionnisme a en effet permis à Adrien Backscheider de devenir champion du monde des moins de 23 ans l’hiver dernier devant son compatriote Damien Tarantola avant un titre national en mass-start au printemps. « Vincent transpose avec ses jeunes ce qui lui a réussi en tant qu’athlète notamment le partage et la vie de groupe », ajoute son frère, qui l’imaginait d’abord faire quelques longues distances avant de devenir entraîneur.
« Vincent nous dit souvent en souriant : »Le plus important est d’arriver à se faire mal, et que ça reste du plaisir ! » Il se révèle dans les conditions les plus difficiles, et dans ces cas-là, pour le suivre lors de nos entraînements, il faut s’accrocher ! », raconte le Mégevan Clément Parisse.
Humainement, Vincent Vittoz vit sa nouvelle mission avec entrain : « Sur la coupe d’Europe où je croise d’anciens coureurs comme Pietro Piller-Cottrer, Jens Filbrich ou Axel Teichmann, on touche à tout : du coaching pur aux tests de glisse en passant par le fartage, on se doit d’être complet et prêt physiquement. »
Mais le jeune entraîneur sait aussi que cette tâche est parfois ingrate : « Chaque athlète a ses qualités et ses défauts qu’on doit optimiser. Certains malgré tout ne seront pas champions. C’est humainement difficile à gérer même si ça fait partie de notre rôle. » Les sportifs en ont conscience mais disposent d’un modèle de prestige pour parvenir à leur objectif. « C’est le plus grand fondeur français à ce jour, souligne Paul Goalabré. Son parcours donne envie de réussir ! »
Cet article est paru dans Nordic Magazine #14 (février 2015)
Photos : Agence Zoom et Nordic Magazine.